Intérêts bien compris

EurosAprès la tentative de recapitalisation, c’est la question du taux d’intérêt appliqué au prêt proposé à STCPI par l’agence des participations de l’Etat (APE) pour venir en aide à SLN qui cristallise les tensions. Le choix du mécanisme financier est en effet une question importante et légitime pour les deux entités calédoniennes que sont l’actionnaire STCPI qui sert dans cette opération de véhicule financier et l’entreprise SLN qui devra rembourser le prêt de 127 millions € (15,1 milliards de francs) mais aussi celui de 325 millions € (38,7 milliards de francs) accordé par Eramet. Il est vrai que les banques proposent toujours une multitude de formules de prêt pour répondre aux besoins des investisseurs, mais in fine ces offres doivent répondre aux besoins de celui qui est tenu de les rembourser, surtout lorsque les créanciers sont aussi actionnaires. Cette question importante mérite donc d’être replacée dans un contexte plus large tant du point de vue des modalités du prêt, de son remboursement que de sa prise de décision.
Taux variables ou fixes. Pour justifier leur refus auprès de l’APE et appuyer leur démonstration auprès des calédoniens, les deux représentants de STCPI comparent le rendement financier d’un même taux fixe et variable. Ils indiquent qu’à un taux fixe de 5% SLN rembourserait 19 milliards de francs en huit ans alors qu’avec le système de taux variable et en se basant sur l’analyse d’un expert des matières premières, les intérêts seraient de 31 milliards de francs. Or même si elle s’impose, l’analyse comparative peut difficilement être faite en ces termes. En effet, si le premier apporte une apparente sécurité financière, l’attrait du second (si l’on est prêt à accepter les risques liés aux variations dues aux fluctuations du cours du nickel) consiste à avoir un taux d’appel bien plus bas que le premier. Avant de développer plus en détail cette question, rappelons tout de même que le mécanisme des taux évolutifs indexés sur le cours du nickel au LME n’est pas nouveau en Nouvelle-Calédonie. En effet, la plus grande partie du financement de la construction de l’usine du Nord fait appel à un mécanisme similaire qui intègre les deux variantes. Rappelons également que sur la base d’un coût total du projet de 8 milliards $, le financement de la construction à proprement parlé s’établit à près de 7,3 milliards $. La dette senior est de 413 millions $ avec un taux fixe de 8%. En revanche, la part de la dette junior qui s’élève à 6,65 milliards $ représente environ 83% du coût total du projet. Le mécanisme de rémunération de cette dernière est constitué d’un taux fixe de 4,80% (coupon fixe) payé en priorité sur les autres créances privilégiés et chirographaires et d’un taux évolutif (coupon variable) indexé sur le cours du nickel au LME. Aussi, dire que le recours à un mécanisme de taux variable aurait pour conséquence inévitable de voir la trésorerie de SLN entièrement aspirée par le remboursement de ce prêt est donc également valable pour KNS…
Progressivité des taux proposés. Le taux de référence proposé par l’APE à STCPI dans le cadre du financement apporté à SLN s’établirait à 5% pour un cours du nickel à 5$ la livre. Il augmenterait de trois points par dollar supplémentaire, soit un taux de 8% à 6$ la livre, 11% à 7$, 14% à 8$ et ainsi de suite. Il y a donc deux aspects à considérer : l’équation qu’est le mécanisme financier et son inconnue que constitue l’évolution du marché du nickel. Eu égard au premier aspect, il nous faut prendre en considération la baisse des taux d’intérêt, mesure prise pour que l’Etat puisse espérer maintenir une croissance économique de 1,5% du PIB. Incontestablement, compte tenu du coût du crédit actuel le taux de référence proposé par l’APE parait élevé pour un taux d’appel. Quant au mécanisme d’indexation, s’il augmente le montant des intérêts de manière significative, il reste néanmoins dans la norme du financement des projets industriels. La véritable question se situerait donc moins dans la progressivité du taux que dans son niveau de départ. A titre de comparaison, il est toujours intéressant de constater que dans le cas du financement de l’usine du Nord l’effet évolutif de la partie variable du taux d’intérêt de la dette junior est encore plus important que l’indexation proposée par l’APE: le taux est de l’ordre de 5,3% à 5$ la livre, 9,5% à 6$, 13,8% à 7$, 18,1% à 8$ et ainsi de suite. C’est en tout cas sur la base d’une telle évolution de rémunération des comptes courants d’associés et en fonction d’une projection pour le moins optimiste d’un cours du nickel à 9 et 12$ la livre que les administrateurs de SMSP ont donné leur feu vert pour que le PDG de la société souscrive les emprunts en cours. Pour revenir aux propositions faites par les services de l’Etat à STCPI, il ne s’agit pas d’aider SLN à construire une usine, bien que ce n’était pas non plus l’objectif de SMSP. Il s’agit de permettre à l’entreprise d’assurer ses charges de fonctionnement jusqu’à la fin de l’année 2018. Pour ce faire, l’Etat actionnaire est suffisamment bien placé pour se refinancer à des taux extrêmement réduits, voire-même négatifs, depuis les récentes dispositions prises par la Banque centrale européenne. L’APE dispose donc d’une marge de manœuvre importante lui permettant de proposer un taux plus faible. S’agissant enfin du second aspect qu’est l’inconnue, il nous faut tenir compte de l’évolution du dollar et du nickel. Concernant ce dernier point, s’il est difficilement envisageable de voir le cours descendre beaucoup plus bas qu’il ne l’est actuellement, il est en revanche fort probable que vu l’état des stocks mondiaux sa remontée ne se fasse que dans la durée et certainement pas dans les proportions connues en 2007.
Egalité des actionnaires. Le fait pour les représentants de STCPI de dénoncer la non-égalité des actionnaires devant leur apport en compte courant pose d’autres questions qui renvoient à sa gouvernance. Pour STCPI cette opération est quasiment transparente – bien que chacun conviendra que le vocable employé est en totale contradiction avec son mode de gestion. En effet, ni les administrateurs des actionnaires de STCPI, ni bien évidemment les élus provinciaux, ne sont destinataires des documents gérés en direct par le président et le président délégué de STCPI, ce qui en dit long sur le potentiel autocratique du référendum éclairé. Les déconvenues financières de SPMSC et SMSP ne seraient-elles pas le préalable de cette autocratie financière? Pourtant, dans cette opération, STCPI n’est qu’un véhicule financier contraint d’accepter un prêt de l’Etat qui est immédiatement transféré à SLN. Si le véritable objectif des représentants de l’actionnaire minoritaire qui n’a pu venir en aide à l’entreprise est bien de préserver ses intérêts, et non de continuer à la torpiller, il revient avant tout à la direction de SLN de se prononcer sur le fait de savoir si les propositions de financement correspondent à ses besoins de trésorerie et sont en ligne avec les taux du marché, car au final c’est bien elle et non STCPI qui génèrera les revenus pour rembourser les charges financières du prêt. Aussi, l’on est en droit de se demander si le véritable objectif des représentants de l’actionnariat local n’est pas de chercher à être perçus par l’opinion publique comme défendant obstinément les intérêts de la Nouvelle-Calédonie? Ne s’agit-il pas là d’une question d’affichage politique, de posture, car nous savons tous pertinemment que l’Etat fera encore un petit effort. Mais s’ils estiment qu’au nom de l’égalité républicaine, l’argent prêté à SLN par Eramet devrait être remboursé selon le même mécanisme que celui qui leur est proposé par l’APE, il faudra alors leur rappeler que STCPI n’était pas obligée de dépenser l’argent qui a été distribué par SLN. Contrairement à Eramet, si STCPI n’avait pas dilapidé les dividendes perçus, la question du taux d’intérêt ne se poserait pas en ces termes.
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